top of page
Rechercher
  • Les Pénalistes

Article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale


Crédits : Stephane de Sakutin, AFP

La proposition de la loi sécurité globale affiche l’objectif de « protéger ceux qui nous protègent », et ce en dépit de la liberté d’expression et d’information. L’inquiétude de la communauté citoyenne est suscitée par le risque que l’article 24 du texte ne conduise à la censure des vidéos dénonçant les violences policières. Cela ne va-t-il finalement pas envenimer les rapports entre civils et forces de l’ordre alors qu’il s’agirait de les pacifier ?


L’esprit de la loi



Depuis une quinzaine d’années, les forces de l’ordre sont régulièrement la cible de menaces et d’agressions. Selon un bilan dressé par la Direction générale de la police nationale, révélé par Le Figaro, chaque jour vingt fonctionnaires sont blessés dans le cadre d’interventions et 63 commissariats ont été la cible d’attaques depuis janvier 2020. Le nombre de fonctionnaires de police blessés en mission a ainsi doublé entre 2004 et 2019, passant de 3 842 à 7 399.


Depuis le mouvement social des gilets jaunes, accru par le contexte de dénonciation des violences et bavures policières durant le mouvement Black Lives Matter de l’été 2020, les forces de l’ordre font face à de plus en plus de défiance à leur égard. Gérald Darmanin, à peine installé place Beauvau, se confronte immédiatement au ras-le-bol de ses fonctionnaires. Ainsi, les négociations syndicales du mois d’octobre ne sont pas étrangères à la concomitance de la proposition de loi relative à la sécurité globale déposée le 20 de ce mois. Cette proposition est à l’initiative de deux députés, Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, du parti politique majoritaire, La République en marche. L’article 24 pénalise la diffusion, sur tout support, de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de police nationale ou de la gendarmerie nationale ». Encore faut-il, pour être puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, que la diffusion de l’image soit malveillante, c'est-à-dire « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à [l’] intégrité physique ou psychique » du fonctionnaire.


L’anonymisation des forces de l’ordre lors de la diffusion d’image n’est pas une idée nouvelle. Selon la circulaire n°8008-8433-D du 23 décembre 2008, les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image, hormis dans des cas spécifiques empreints du secret professionnel. Dans cette circulaire, le ministère de l’intérieur avait considéré que la « liberté d’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne », ce qui excluait le policier en intervention de la possibilité de s’opposer à l’enregistrement et à la diffusion de son image. Cette exception au droit à l’image, partie intégrante du droit à la vie privée, trouve son fondement dans le statut de service public des fonctionnaires de police. Pourtant, en pratique, il n’est pas inhabituel que des citoyens témoignent d’une confrontation avec un membre des forces de l’ordre lui sommant d’arrêter de filmer, allant parfois jusqu’à la destruction du bien, voire à l’usage illégitime de la violence[1].


Toutefois, la pratique des fonctionnaires ne correspond pas à l’esprit du texte disposé à l’article 24 de la loi de sécurité globale. Même si Gérald Darmanin a évoqué l’hypothèse d’un durcissement de la mesure permettant d’empêcher la captation d’image, c’est la diffusion de l’image qui se veut être prohibée et non la détention ou la captation d’image. Deux verrous sont mis en place pour éviter une utilisation excessive du texte. D’une part, il y a la nécessité de pouvoir identifier le policier ou gendarme concerné par la captation d’images. Or, la plupart du temps, les membres des forces de l’ordre sont difficilement reconnaissables sur des images ou vidéos de par leur équipement (casques, visières, masques...). Les scènes sont souvent filmées de loin et dans des situations de mouvement, ce qui rend de facto difficilement reconnaissable l’agent concerné. L’article tel que proposé n’interdirait pas la diffusion du numéro d’identification individuel (RIO) permettant d’obtenir l’identité et le service dont relève l’agent en mission dans le cadre de l’ouverture d’une enquête, permettant ainsi la pénalisation d’agents commettant des violences policières qui seront indentifiables par les autorités de contrôle (Procureur de la République, supérieur hiérarchique, IGPN). D’autre part, l’infraction nécessite la caractérisation d’un dol spécial correspondant à l’intention manifeste de nuire. S’il a pu être critiqué la subjectivité de la notion d’« atteinte manifeste à l’intégrité », celle-ci ne possédant aucune définition juridique, il est cependant à noter que les juges disposent de multiple jurisprudences permettant de connaitre ce que ces notions recouvrent. Pour un exemple concret, dans la vidéo du passage à tabac du producteur de musique, Michel Zecler, largement relayée sur les réseaux sociaux, dénonçant de nouvelles violences policières, aucun visage ou élément d’identification d’un policier n’est discerné. Par conséquent, des vidéos similaires ne pourront se voir censurées par l’article 24 de la loi relative à la sécurité globale. Pour autant, si cette pénalisation se veut protectrice des forces de l’ordre, celle-ci camoufle en réalité un risque d’atteinte au droit à l’information bien plus important.


Le cheminement pour la promulgation de cette proposition de loi relative à la sécurité globale est encore long puisque celui-ci vient simplement d’être adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. Suite aux débats parlementaires, il est fort probable que le texte controversé fasse l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel. Ce dernier devra alors se prononcer sur le conflit entre protection du droit à l’image, corollaire du droit au respect de la vie privée des forces de l’ordre et la liberté fondamentale d’expression et de droit à l’information. Rappelons-le, le Conseil constitutionnel a déjà pu reconnaitre l’incrimination de diffusion d’image caractérisant l’apologie du terrorisme conforme à la Constitution, en dépit de la liberté d’expression. Pour cela, il analysera selon ses propres critères ; la nécessité, l’adaptation et la proportionnalité à l’objectif poursuivi[2]. Pour autant, le droit à l’image et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, auquel participe l'objectif de lutte contre le terrorisme, ne recouvrent en rien la même importance. Enfin, le porte-parole de la Commission européenne, Christian Wigand, rappelle que les journalistes doivent pouvoir « faire leur travail librement et en toute sécurité » et qu’à ce titre, « lors de l'élaboration de leur législation en matière de sécurité, les États membres doivent respecter le principe de proportionnalité et trouver le juste équilibre entre la garantie de la sécurité publique et la protection des droits et des libertés des citoyens », affirmation qui sera sûrement prise en compte par le Conseil constitutionnel.


La proposition de loi relative à la sécurité globale intégrerait un article 35 quinquies à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, socle juridique à la liberté d’expression. Cependant, si en ajoutant « [s]ans préjudice du droit d’informer » au début de l’article, les députés affichent politiquement que le but n’est pas d’atteindre à la liberté d’expression, celui-ci pose problème à bien des égards. C’est pour cela que, samedi 28 novembre, entre 133 000 et 500 000 manifestants se sont réunies pour le dénoncer. « C’est une loi de peur, c’est une loi qui rajoute de la peur », soulignait Edwy Plenel, fondateur de Mediapart.


Le risque d’une censure de facto



Il a été démontré que l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale provoque agitations et tensions, tant sur les bancs de l’assemblée qu’à l’extérieur de celle-ci. Mesure plébiscitée par les uns, mesure décriée par les autres, elle n’a pas fini de cristalliser passions et antagonismes.


D’un côté, la majorité défend l’initiative, prise dans l’objectif de « protéger ceux qui nous protègent », jetés « en pâture sur les réseaux sociaux ». En ce sens, le ministre de l’intérieur et les syndicats policiers estiment que le floutage des visages des forces de l’ordre dans les médias et sur internet constituerait un bon équilibre qui éviterait d’en venir à une interdiction pure et simple de toute captation d’image. Ce serait une atteinte considérable à la liberté d’expression. Le ministre de l’intérieur et le président de la majorité à l’assemblée réfutent l’atteinte à la liberté d’expression que ce nouveau texte provoquerait une fois adoptée.


De l’autre côté, journalistes, hommes et femmes politiques, défenseurs des libertés publiques et pourfendeurs des violences policières dénoncent une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. L’opposition, notamment la gauche et une partie de la majorité, se montrent hostiles face à ce texte, certains allant jusqu’à s’inquiéter de sa constitutionnalité. Tout comme le conseil des droits de l’Homme de l’organisation des Nations Unies qui considère que le texte peut porter des atteintes importantes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, la nouvelle défenseuse des droits, Claire Hédon, s’est positionnée contre. Elle estime que cette disposition est « soit nuisible, soit inutile », craignant un obstacle à l’exercice de sa mission. Elle relève que la loi permet déjà de réprimer les abus en la matière, sur le fondement de la protection fonctionnelle des agents publics mais également au titre de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 condamnant la provocation aux atteintes à l’intégrité des personnes.


La Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH s’est récemment montré aussi inquiète face à cet article et estime qu’il porterait une atteinte à l’exercice du droit d’information et constituerait une entrave aux droits des victimes éventuelles (…), par la menace d’intervention et de saisie de matériel et de poursuites qu’elle fait peser, tant sur les journalistes que sur les citoyens. De même, Amnesty International estime que cette disposition pose un risque majeur pour la liberté d’informer, corollaire essentiel du droit à la liberté d’expression. En pratique, le risque serait une censure de toute vidéo captant un membre des forces de l’ordre. Les agents de terrain pourraient profiter de l’adoption de l’article 24 pour justifier l’arrestation d’individus. En effet, le placement d’un individu en garde à vue est conditionné à ce que l’infraction qu’il est suspecté avoir commise soit punie d’une peine d’emprisonnement. L’infraction prévue à l’article 24 étant punie d’une peine privative de liberté d’un an, un tel placement serait dès lors possible, de même que la saisine de l’objet ayant permis la captation de l’image pour une durée de six mois. Le risque serait que l’article 24 dissuade les individus de dénoncer des violences et bavures policières, dénonciations pour lesquelles le support des réseaux sociaux est essentiel. La question se pose également pour la spécificité des vidéos filmées et diffusées en direct. Plus grave encore, les plateformes pourraient censurer les contenus comprenant des images de fonctionnaires de police, par peur d’être tenues responsables et de se voir sanctionnées. Ainsi, si cette loi est appliquée en l’état, le risque serait d’entraver les opportunités citoyennes dans la lutte contre les violences policières.


Par ailleurs, des personnalités ayant voté pour Emmanuel Macron en 2017, se mêlent aux débats, signent une tribune et demandent le retrait intégral de cette proposition de loi[3], qui à leurs yeux « font reculer les libertés d’informations et d’opinions » spécifiquement. Cette idée reflète l’opinion de français qui, soit en étant en opposition de façon silencieuse face à ce texte, soit en prenant part aux manifestations organisées, souhaitent le retrait de celui-ci. En effet, un sondage d’Harris Interactive relève que 49% des français estiment que l’article 24 aura des effets négatifs pour la liberté d’information[4]. Néanmoins, un autre récent sondage IFOP commandée par Matignon révèle, à l’inverse que six français sur dix y sont favorables[5]. De quoi remettre sur le feu une vive opposition qui parait, de fait, sans fin.


Cet article 24 de la future loi liberticide a été voté en première lecture à l’Assemblée nationale, malgré les retentissements générés. Tout en continuant de voir se propager des images de manifestations et de vidéos de violences policières, ce climat instable n’a pas empêché 146 députés de se prononcer en faveur de ce texte. Il faut indiquer un nombre relativement faible de députés ayant pris part au vote pour une proposition de loi dite de « Sécurité Globale », soulignant pourtant un caractère universel, qui concernerait les libertés tant individuelles que collectives. Cet article est donc loin d’avoir fini son cheminement, puisque nombre d’obstacles entravent encore sa promulgation.


Compte tenu des polémiques et des incompréhensions que cet article a générées, celui-ci fera l’objet d’une réécriture, conduite dans le cadre d’un travail collectif aux trois groupes de la majorité, que sont La République en marche, Agir et Modem. Ainsi, le texte, selon Christophe Castaner, actuel président du groupe majoritaire à l’Assemblée, pourrait changer de « véhicule législatif » et s’intégrer dans le projet de loi contre le séparatisme. Ce qui, si le contenu n’est pas modifié, est tout aussi problématique, voire plus, puisque l’initiative sera celle du gouvernement, et ne bénéficiera donc que d’un avis consultatif du Conseil d’Etat sur sa constitutionnalité.


Il semble que si la vocation de l’article 24, de protéger ceux qui nous protègent, est louable, la manière de faire semble, elle, erronée. A un autre égard, il sera nécessaire d’également soulever le fait que l’article 24, objet de toutes les polémiques actuelles, occulte d’autres articles de la loi relative à la sécurité globale, tout aussi problématiques.


Raphaelle R. et Simon D.


[1] Exemple : https://youtu.be/SPJ5NnRXtzU, vidéo du bloggeur Tounsi Biker [2]Conseil constitutionnel, décision n° 2018-706 QPC du 18 mai 2018. [3] Le Monde avec AFP, « Monsieur le Président, nous n’avons pas voté pour ça » : 33 personnalités demandent le retrait des projets de loi « sécurité globale » et « séparatismes », Le Monde, 22 novembre 2020. [4] La rédaction de LCI, « Sécurité globale : 49% des français estiment que l’article 24 aura des effets négatifs pour la liberté d’information », Info LCI, 27 novembre 2020. [5] Louis de Raguenel, « Sécurité globale : les français plutôt favorables à l’article 24, selon un sondage commandé par Matignon », Info Europe 1, 24 novembre 2020.

338 vues0 commentaire
Post: Blog2_Post
bottom of page