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  • Les Pénalistes

Le jugement des auteurs d’infractions terroristes (Série consacrée à "Charlie") {1/3}


Crédits : Charlie Hebdo : un procès pour l’histoire et la mémoire - Chappatte (Suisse / Switzerland), Le Temps © Chappatte, Cartooningforpeace


Le 7 janvier 2021 est une date symbolique. Il y a six ans jour pour jour, une série d’attaques secoue la France, blessant des valeurs et décimant des vies. Cet évènement a éveillé un émoi populaire et a suscité un élan de soutien sans précédent.


Dès lors, le risque terroriste est apparu au sein du pays, alimenté par la multiplication d’attentats sur le territoire, le déploiement et le renforcement du Plan Vigipirate mais également l'instauration d’un état d’urgence. Ainsi, dans ce contexte troublé, le nombre de procès tentant de juger les auteurs de ces actes a progressivement augmenté : Les procès Merah, « Charlie », celui de l’attentat déjoué du Thalys, ainsi que la perspective d’un procès des attentats du 13 novembre 2015, en sont des aperçus notables.


Le procès « hors-normes » des attaques de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Cacher s’est tenu de septembre à décembre 2020. Il a mobilisé plus de 200 parties civiles et plus de 90 avocats, pour plus de dix semaines d’audience et de débats. Par ailleurs, il constitue un procès historique. Antoine Mégie, maître de conférences à l’Université de Rouen et spécialiste de la justice antiterroriste affirme que par « le retentissement et l’émotion qu’ils ont engendrés », ces attentats ont « largement dépassé les frontières » et « profondément marqué l’histoire du terrorisme national et international », si bien qu’il a été décidé de filmer et d’archiver ce procès, une première pour une affaire terroriste.


Mais seulement, dans la mesure où les protagonistes ayant perpétré ces attentats sont soit décédés, soit absents, à quoi sert ce genre de jugement et quelles en sont les particularités ?



La nécessité d’un jugement des auteurs d’infractions terroristes



Le terrorisme n’est pas une notion récente et n’est pas apparue avec les attaques précitées En effet, bien qu’il n’existe aucune définition qui se veut précise et commune, ce phénomène transnational a pu recouvrir différentes formes et posséder des caractéristiques communes. Que l’on parle du terrorisme d’Etat, contestataire ou religieux, il implique l’emploi systématique de la violence, pour impressionner soit des individus, soit des populations qui sont soumises, à des fins idéologiques, politiques ou religieuses, à un climat d’insécurité. Cela conduira Raymond Aron, philosophe et sociologue du XXe siècle, à affirmer que le terrorisme a pour caractéristique majeure de rechercher un impact psychologique. Les formes plus contemporaines concernent la mouvance islamiste et les mouvements extrémistes, qui, depuis la fin de la guerre du Golfe en 1991, ont rapidement gagné la première place[1].


Trois éléments cumulatifs doivent être pris en compte lors de la qualification d’actes de terrorisme à savoir une violence d’une exceptionnelle gravité, l’objectif de l’acte et l’existence d’une organisation terroriste. En France, ces actes sont regroupés dans le code pénal au sein des crimes et des délits contre la Nation, l’Etat et la paix publique. Ils sont commis intentionnellement et en relation avec une entreprise individuelle ou collective, ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Ces infractions sont situées aux articles 421-1 et suivants ainsi qu’aux articles 422-1 et suivants du code pénal. Une dichotomie est par ailleurs faite entre les infractions de droit commun qui sont commises dans un contexte particulier (notamment les atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne), et les infractions autonomes (notamment l’association de malfaiteurs terroriste, le financement d’une entreprise terroriste ou le terrorisme écologique)[2].


Juger le terrorisme tout en respectant les principes et les garanties de l’Etat de droit est apparu comme un défi pour le monde judiciaire et les sociétés démocratiques. C’est progressivement devenu un besoin et une nécessité. Même en leur absence, s’expliquant par le décès, la disparition ou la détention à l’étranger, le jugement est une étape essentielle, afin de ne pas laisser la société et les victimes sans réponse face au terrorisme.


Dans le cadre du procès « Charlie », Antoine Mégie affirmait que ce type de jugement allait produire une mémoire des attentats tout en produisant du droit. Tout d’abord, le procès permet de produire un débat juridique et pénal autour de la responsabilité des personnes qui ont aidé les terroristes. Il permet de mesurer les responsabilités et de transformer les hommes en auteurs, et s’ils sont condamnés, en coupables.


Il s’agit également de répondre à la barbarie par le droit et la raison. Le procès est essentiel pour réaffirmer nos principales valeurs démocratiques face au terrorisme, ce qui fait dire à Denis Salas, magistrat et historien de la justice, que « c’est une réponse forte aux mots d’un terroriste quand il a dit « on a vengé le Prophète ».


Il s’agit enfin d’une aide et d’une étape supplémentaire dans la reconstruction des victimes. Elles doivent montrer leur détermination, leur humanité et leur respect du droit. Croyant aux vertus d’un tel procès, même sans les protagonistes principaux, l’avocat Simon Cohen relève que “le procès public, équitable, loyal et en même temps sans concession, permet de parler des faits, d’entendre, de réentendre les hommes. Ce travail commun de ruminations, au sens noble, permet d’objectiver et de raisonner la peine, à défaut de la soulager. C’est un extraordinaire progrès mental qui selon moi peut rendre le fardeau non pas moins lourd, mais plus supportable[3]”.


Ainsi, en l’absence des principaux responsables des attentats de janvier 2015, la voix des victimes revêt aujourd’hui une importance toute particulière afin de témoigner des attaques perpétrées dans un but de vérité judiciaire essentiel, mais aussi un but mémoriel et historique.


Au-delà et de manière générale, en raison de la complexité pour les services d’enquête d’avoir la certitude matérielle de certains décès, la mort est parfois présumée, n’empêchant pas leur jugement, faisant dire à Benjamin Chambre, Premier vice-procureur national anti terroriste, que « c’est un peu une justice de précaution ».


On peut toutefois nuancer ce type de jugement. En effet, cela peut conduire les juges d’instruction à instruire les dossiers uniquement à charge, en raison de l’absence totale de contradictoire au cours de la procédure. Les juges constatent alors la difficulté de travailler sur l’individualisation de la peine, qui les contraignent à prononcer des peines systématisées et non-personnalisées à défaut d’accusés face à eux[4].



Les modalités du jugement des auteurs d’infractions terroristes



En ce qui concerne les modalités de jugement des auteurs d’infractions terroristes, un constat s’impose : aucune disposition spécifique concernant la lutte contre le terrorisme n’existe au sein de la Constitution du 4 octobre 1958, texte au sommet de la hiérarchie des normes[5]. Mais alors si le texte le plus fondamental de notre démocratie n’évoque pas la lutte contre le terrorisme, où et comment est-il possible de constater les particularités pratiques du jugement de ces infractions d’une terrible gravité ?


Il faut pour cela se référer au code de procédure pénale afin de connaître ces modalités spécifiques. Ainsi, l’article 706-16 du code précité pose le principe d’une procédure dérogatoire pour ce qui concerne les actes terroristes prévus aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal. En effet, bien que la procédure de droit commun puisse avoir vocation à s’appliquer, le spécial dérogeant au général, toute règle particulière relative à ce type d’infractions se verrait appliquer dans un but toujours croissant de spécialisation du droit.



Les lieux de jugements des auteurs d’infractions terroristes : une composition particulière de la cour d’assises



Le jugement d’auteurs d’infractions terroristes peut se dérouler, selon la même distinction que pour les infractions de droit commun, devant un tribunal correctionnel ainsi que devant une cour d'assises suite à ce que l'infraction ait été qualifiée de délit ou de crime. Cependant, concernant le déroulement pratique d’un tel procès, la cour d’assises est qualifiée de “spéciale” pour ces infractions d’une extrême gravité. Communément aux cours d’assises classiques, il n’est prévu aucune dérogation à la présence d’un jury cependant c’est la composition de ce dernier qui diverge. Ainsi, à défaut de citoyens illustrant la participation populaire au rendu de la justice, ce sont des magistrats spécialisés qui tiennent ce rôle. Ces professionnels du droit, majoritairement issus de la 16e chambre correctionnelle, sont sélectionnés sur une liste en raison de leur expérience et leur expertise dans le domaine terroriste[6]. Cette première spécificité est née dans les années 80 à la suite de menaces proférées par Action directe à l’encontre de certains jurés populaires durant le procès.


A la lumière de ces prémices légales, qu’en est-il de la pratique concrète des professionnels du droit lors d’un procès terroriste ? La mainmise de ces juridictions sur le jugement de ce type d'infraction date des années 90. Il convient de noter que c’est au cours de la décennie 2000 que le nombre de ces affaires s’est particulièrement accru, notamment en ce qui concerne des filières d’acheminement de terroristes vers l'Afghanistan et l’Irak. Pour autant, il est clair que le terrorisme fait maintenant partie de la vie des français depuis les années 2013 et surtout 2014.



La massification des dossiers de terrorismes traités par les tribunaux



D’une part, il apparaît une massification des dossiers concernant des filières terroristes. En pratique, cet accroissement s’illustre par plus de 180 procès tenus entre décembre 2014 et décembre 2019 devant la 16e chambre correctionnelle de Paris ainsi que devant les cours d’assises spéciales également localisées à Paris.


Il convient de s’interroger sur l’augmentation significative de ce type d’affaires. Certains professionnels du droit, juge ou avocat, parlent d’une fréquence “quasi-quotidienne” d’affaires concernant des actes terroristes. Ici, différents constats s’imposent : tout d’abord, l’augmentation de la radicalisation est un fait incontestable. Cependant ce phénomène de radicalisation gagne du terrain en touchant des personnes de plus en plus jeunes et des lieux de plus en plus divers. Ainsi, cette idéologie terroriste frappe sans épargner personne. En conséquence, la liberté d’expression tout comme la liberté de culte étaient touchées par les attentats de 2015 perpétrés par Amedy Coulibaly et les frères Kouachi. Le procès des tueries de la rédaction de Charlie Hebdo ainsi que de l'hyper cacher de la porte de Vincennes s’est tenu récemment et le verdict a été rendu le 16 décembre dernier par la cour d’assises de Paris réunie dans sa composition spéciale.


A la différence des tribunaux correctionnels cités précédemment, le jugement d’actes terroristes devant les cours d’assises spéciales reste davantage exceptionnel. Les faits concernés sont d’une telle gravité qu’il est souhaitable que le nombre de ces infractions reste résiduel et que la lutte contre le terrorisme permettre d’endiguer efficacement ce phénomène. A venir, le procès des attentats du 13 novembre, où la culture était prise pour cible, est prévu pour la rentrée 2021. Outre la composition spéciale de la cour d’assises qui sera de nouveau convoquée, ce procès implique un si grand nombre d’acteurs que des travaux sont en cours depuis bientôt un an au sein du palais de justice afin de pouvoir accueillir plus de 1 700 parties civiles, plusieurs dizaines d’accusés et les journalistes.


Enfin, l’un des lieux les plus sacrés de notre République, l’école française a récemment été touchée dans le cadre de l’attentat perpétré contre Samuel Paty, professeur. A cette occasion, une nouvelle difficulté s’est présentée aux personnels judiciaires ainsi qu’aux professionnels du droit : la minorité de certains mis en cause. Cela soulève donc une question primordiale, comment le gouvernement et la justice vont-ils adapter la lutte contre le terrorisme, la radicalisation et la réaction répressive au rajeunissement des auteurs d’infractions terroristes ?



Les conséquences pratiques de la singularité d’un procès terroriste



Une nécessaire protection des acteurs du procès :


En raison de l’extrême gravité des actes à juger, il est incontestable que les professionnels du droit puissent se retrouver en danger. Ainsi, les magistrats peuvent se voir accorder une protection particulière. Il est donc possible qu’ils disposent d’une protection physique dans le cadre de leur déplacement mais également qu’ils puissent intervenir, témoigner ou communiquer par visioconférence et sous couvert d’anonymat. Le risque de représailles éventuelles de fanatiques tout comme de membres de ces organisations radicalisées conduit à accroître la sécurité des personnels judiciaires tout comme des lieux de rendu de la justice.


Ainsi, le procès même se tient sous haute sécurité. Les contrôles à l’entrée du tribunal ou de la cour seront renforcés, les déplacements de tous les acteurs du procès (mis en cause, victimes, témoins, avocats, magistrats etc.) seront surveillés et sécurisés.


L’adaptation des garanties fondamentales aux auteurs d’actes terroristes :


Les actes commis par les personnes ainsi jugées sont d’une telle gravité qu’il convient d’adapter certaines parties de la procédure pénale.

Ainsi, mais également dans le but de protection évoqué précédemment, il existe un plus grand nombre de secrets d’enquête dans le cadre de faits de terrorisme. Ces secrets seront donc révélés durant le procès, au cours du débat contradictoire.


Concernant ces règles du procès équitable, dans tout Etat de droit, il n’est pas envisageable d’y déroger. Il en va de même pour l’application de l’article 6 Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) dans le cadre d’un procès terroriste. Toutefois, en pratique, ces actes et infractions révèlent, par leur nature, un grand intérêt médiatique. Ainsi, un enjeu de publicisation du débat contradictoire apparaît. La médiatisation parfois excessive de certains procès ou autres dessins et iconographies réalisés au cours des audiences permettent en effet d’informer et de communiquer davantage sur ce qui se passe à l’intérieur d’un prétoire. Cela va de pair avec le principe de publicité des débats ainsi que du droit d’informer les journalistes. L'essence même de l’infraction terroriste commise visant à toucher le plus grand nombre, il paraît juste que le plus grand nombre s’intéresse au jugement des terroristes.


Enfin, certaines règles dites classiques de la procédure pénale et notamment de la phase d’exécution de la peine peuvent se trouver révisées. L’importante gravité des faits commis conduit en effet, à mettre de côté certains droits fondamentaux du condamné terroriste (comme le droit à l’oubli ou au respect de sa vie privée et familiale) afin de permettre l'inscription des auteurs d’infractions terroristes sur le Fichier Judiciaire National Automatisé des Auteurs d’Infractions Terroristes (FIJAIT). L’inscription d’un individu sur ce fichier est prévue par les articles 706-25-3 à 706-25-14 du code de procédure pénale. Il incombe alors à la personne concernée diverses obligations plus ou moins contraignantes. Le but est de “garder un œil” sur les auteurs d’infractions terroristes déjà connus de la justice et ainsi, de prévoir une éventuelle récidive.


La seconde particularité de la phase d’exécution de la peine qu’il convient de souligner relève de l’indemnisation des victimes d’actes terroristes. Il est de notoriété publique que, la réparation pécuniaire des victimes d'infraction a quelques difficultés à se mettre en place en France. Pour pallier cela, dans le cadre de ces infractions les plus graves, il existe le Fonds de Garanties des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI) qui a vocation à indemniser toute victime, sans considération de nationalité pour tout acte de terrorisme survenu sur le territoire de la République à compter du 1er janvier 1985.


En arriver à juger les auteurs d’infractions terroristes est évidemment capital mais laisse tout de même un goût amer. La lutte contre la radicalisation et le terrorisme doit intervenir en amont. Il convient d’empêcher que de tels actes surviennent en déjouant d’éventuels attentats et en démantelant des réseaux terroristes. La lutte contre la menace terroriste n’est pas finie et reste aujourd'hui un sujet primordial, au cœur des considérations judiciaire et de politique criminelle.


Par Emma D. et Simon D.


[1] Gérard Chaliand, Pierre Dabezies, Sylvia Preuss-Laussinotte, Jean Servier, « Terrorisme», Encyclopaedia Universalis, consulté le 4 janvier 2021. [2] Fiche d’orientation Dalloz, Terrorisme, septembre 2020. [3] Tony Fabri, Attentats de janvier 2015. Sans les terroristes, à quoi sert le procès ? Ouest France, 2 septembre 2020. [4] Association française des Victimes du Terrorisme (AFVT), Comment juger l’absence ? [5] T. S. Renoux, Juger le terrorisme ?, Cahiers du Conseil constitutionnel n°14, mai 2013. [6] P. Januel, Comment juge-t-on les terroristes islamistes ?, Dalloz Actualité, 5 février 2020.

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