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  • Les Pénalistes

Le terme féminicide et son inclusion dans le Code pénal français


Crédits photo : © FRANCOIS GUILLOT / AFP


Il y a, dans la réalité froide des chiffres avancés, une violence perpétrée et perpétuelle en France. En 2019, 146 femmes sont mortes sous les coups de leur mari ou compagnon. (1) Comment alors ne pas interroger la capacité des institutions, police et justice en tête, à faire face à l’urgence actuelle ?


A chaque affaire marquante dont s’emparent la presse et cette nouvelle hydre de l’opinion publique que sont les réseaux sociaux, c’est la société dans ce qu’elle a d’intellectuels, de militants, de juristes, de journalistes, en un mot de citoyens qui se questionne et pointe l’échec d’un système qui semble osciller entre désœuvrement et désintérêt.


Alors que l’égalité homme-femme a été qualifiée de « grande cause du quinquennat » par le président de la République Emmanuel Macron, nombreuses sont les solutions proposées qui pourraient permettre l’amélioration de la protection des femmes en France, c’est par exemple former davantage les services de police pour traiter les affaires de violences conjugales ou encore donner plus de moyens aux associations spécialisées dans l’aide des victimes de violences.

Parmi les solutions évoquées est l’inclusion du mot « féminicide » dans le Code pénal. Mais avant d’étudier la pertinence d’une telle démarche, il nous faut définir et expliquer ce qu’on peut entendre par ce terme.


Histoire et définition du terme féminicide


Sur le plan sémantique, l’opération n’apparaît pas bien compliquée : le terme féminicide, à l’instar des termes « infanticide », le meurtre d’un enfant, ou encore « parricide », le meurtre du père, semble renvoyer au meurtre d’une femme. A cela près que l’étude des racines du terme démontre une dimension sociologique plus profonde.


Historiquement, c’est le terme « femicide » qui est théorisé en premier par les féministes américaines Jill RADFORD et Diane RUSSEL, dans un livre Femicide : the politics of woman killing en 1992. Elles y définissent le terme de « fémicide » comme étant le meurtre misogyne d’une femme par un homme. Dans cette définition, l’acte de « fémicide » est indissociable de la notion de misogynie, c'est-à-dire d’une forme de haine ou de mépris à l’égard des femmes, précisément parce qu’elles sont des femmes.

Le féminicide serait ainsi la manifestation la plus aiguë de cette haine particulière portée aux femmes, cristallisée par le meurtre.


Le terme « féminicide » tel que nous connaissons, à savoir le meurtre d’une femme par un homme, en raison de sa condition de femme, nous vient d’intellectuelles féministes latino- américaines. Il est utilisé notamment dans les écrits de Marcela LAGARDE, anthropologue et militante féministe mexicaine qui réagit à l’augmentation, dans les années 90, des violences faites aux femmes au Mexique. Celle-ci préconise l’utilisation de ce terme plutôtqu’un autre, car il permettrait par la mise en lumière d’une violence particulière, l’amélioration de la prise en charge par les institutions d’État et la sensibilisation de la population à cet égard.

Le terme feminicido est d’ailleurs inclus dans la plupart des codes pénaux d’Amérique latine, continent particulièrement frappé par les violences de genre. On peut noter qu’au Pérou, au Mexique, au Costa Rica ou en Équateur, le crime de feminicido est puni plus durement qu’un homicide « simple ».

A l’aune de la promulgation en France de la loi du 30 septembre 2020 sur les violences conjugales, transcription législative des travaux du Grenelle portant sur le sujet, l’absence du mot féminicide ravive les ardeurs du débat sur son inclusion dans le Code pénal. Plusieurs questions ressortent alors : le meurtre d’une femme serait-il plus grave que le meurtre d’un homme ? Cette distinction est-elle pertinente eu égard à la démarche égalitaire que prône le féminisme ? La femme ne serait-elle pas « un homme comme un autre » tel que l’affirmait Simone de Beauvoir ?


Sur l’intérêt de son introduction dans notre Code pénal


La notion de féminicide renvoie à la violence particulière que subissent les femmes dans notre société, laquelle s’inscrit dans une oppression générale, organisée. Ce système, le patriarcat, s’étend à toutes les strates et à tous les aspects de la société : politiques, culturels, économiques et sociaux. Récurrente parce qu’elle est systémique, cette violence n’est autre que l’ascendant institutionnalisé de l’homme, conçu en tant que groupe social, sur le groupe social des femmes.

En pareille société, c’est dans la main des hommes qu’est le pouvoir, et cela se traduit par le plafond de verre qui obstrue l’accès des femmes aux postes clés, par la précarité et par la discrimination, par l’exposition à la violence, par la persistance d’une culture du viol, etc… On peut dès lors voir dans le patriarcat les rouages d’un système de domination, qui pour maintenir une classe en position de faiblesse, pour conserver un rapport de force, exerce une violence (illégitime).


C’est là qu’est l’intérêt de l’utilisation du terme féminicide par nos institutions, et a fortiori notre Code pénal, en ce qu’il donnerait à voir ces violences infligées aux femmes comme des résultantes du système patriarcal. Les mettre en lumière, c’est mieux appréhender les abus sexistes, et donc mieux les traiter. Il ne s’agit pas de rendre plus graves les crimes commis sur les femmes, mais d’appréhender efficacement les mécanismes systémiques violents auxquelles elles ont été exposées.

Le développement de l’usage du terme « féminicide » c’est ce que certaines militantes féministes appellent la visibilisation d’un phénomène social.


Il y a fort à parier que l’emploi du terme irradierait, par une prise de conscience, au-delà du simple néologisme et pourrait permettre, par exemple, de prendre en compte la notion, psychologique d’emprise dans les débats judiciaires, qui explique pourquoi une femme victime ne s’est pas éloignée plus tôt de son conjoint violent.


Un parallèle pourrait être fait avec l’introduction de la notion d’inceste dans le Code pénal. Alors que le terme n’était jamais apparu jusque lors dans nos textes répressifs, il a été réintroduit (après une première censure du Conseil constitutionnel) par la loi du 14 mars 2016, à l’article 222-31-1 du code pénal pour les viols et agressions sexuelles (et à l'article 227-27-2-1 du code pénal pour les atteintes sexuelles) : « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis par :1° Un ascendant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le conjoint, le concubin d'une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l'une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s'il a sur la victime une autorité de droit ou de fait. »

L’inceste n’est pas érigé en infraction autonome, puisque la disposition renvoie à des infractions de droit commun, comme le viol et les agressions sexuelles. Cependant, le but de l’inclusion du terme inceste, à tout le moins tel que décrit par les travaux préparatoires du texte de loi, c’est entre autres d’améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux. L’inclusion d’une qualification de féminicide dans le Code pénal pourrait s’inscrire dans une démarche similaire.


On pourrait penser que son introduction est inutile, et que l’arsenal pénal existant est suffisant mais en nommant les choses telles qu’elles sont réellement, on admet leur existence propre. Le droit pénal est la réponse institutionnelle aux maux qui existent dans notre société, or les violences sexistes se perpétuent aujourd’hui en France. Cette situation insupportable se doit d’être saisie par le droit pénal, tant dans ses grands principes que dans la lettre de ses textes car comme le disait brillamment Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »


Sur l’opportunité de son introduction dans le Code pénal


Le droit pénal est la réponse institutionnelle aux maux qui existent dans notre société disions-nous, cela n’est pas sans conséquence. Puisqu’elle est institutionnelle, cette réponse doit être générale ; étant générale, elle doit tendre à l’universalisme.


Ceci dit, il est un point commun entre les notions d’inceste et de féminicide, c’est la pudeur effarouchée avec laquelle on les aborde. Le législateur, en représentant de la souveraineté nationale, n’échappe pas à cette pudibonderie.


Il est ainsi aisé de faire le parallèle entre les deux, l’un argumentant pour l’autre, puisque l’inceste est consacré, inscrit dans le marbre (décidément poreux) du Code pénal. On peut y voir une même dynamique, le souci de bien nommer.


En ce sens, qualifier d’incestueux, c’est discerner avec précision une réalité dans l’obscurité d’une incrimination, et par là reconnaître à la victime l’horreur de même que la particularité de son épreuve.


Il faut le bien comprendre, qualifier est un exercice paradoxal, presque schizophrénique, c’est définir certes, mais c’est aussi assimiler ; c’est préciser autant qu’édulcorer. C’est regrouper sous un terme général des réalités singulières.


Partant, il en va de l’acuité de la justice et de son efficience de qualifier précisément ; et l’on saurait difficilement admettre que contrainte par des notions trop étriquées ou trop génériques, elle ne puisse cerner et donc discerner. C’est parce qu’il ne peut y avoir de place pour l’approximatif lorsqu’il s’agit de sonder le drame humain (c’est aussi ça la justice de proximité) que la qualification d’inceste, bien que ne modifiant pas la peine encourue, était nécessaire. Qualification neutre, mais pas indifférente ...


A cet égard, introduire le terme de féminicide dans le Code pénal semble participer du même enjeu : signifier la particularité de cette violence qui touche les femmes.


Notons que s’intéresser à la question n’est pas une coquetterie intellectuelle, ça n’est pas faire état d’une querelle sémantique ; c’est, au-delà, s’extraire des réflexions trop précises et voûtées, et prenant de la hauteur, s’interroger sur la fonction du droit pénal, considérer la portée déclarative, symbolique de la loi pénale. Il en est grand besoin, particulièrement dans la frénétique spirale répressive que nous connaissons et que, bien trop souvent hélas, l’opinion publique appelle de ses vœux. Sous ce rapport, plutôt que d’agiter le marteau, peut-être convient-il d’ajuster l’enclume.


Cela renvoie encore à la dialectique du politique et du juridique : la qualification juridique doit-elle surplomber, et tous les jargons se soumettre à la lettre de la loi; ou ne s’agit-il que d’un parler spécifique (spécial même), réservé (ou reclus c’est selon) à la seule activité judiciaire ?


Se serait-on accordé sur l’opportunité d’insérer le féminicide dans notre Code pénal, il reste que le terme n’est pas consensuel et recoupe des définitions diverses. Le consacrer serait alors source d’interprétations, dont le droit pénal doit se défier. (2)

Aussi, si l’exemple de la qualification incestueuse est probant, la comparaison n’est pas bien heureuse. En effet, passé outre les tâtonnements gauches et mal assurés du législateur, l’inceste s’adresse à tous et concerne chacun, le féminicide nous concerne tous mais ne s’adresse qu’à quelques unes. C’est rompre avec l’universalisme de la loi. (3)

On pourrait rétorquer qu’il existe bien dans notre Code pénal des circonstances aggravantes propres à certaines catégories de personnes; justement, le droit a déjà paré à l’éventualité, à la spécificité, au particularisme. Le crime ou le délit contre une personne étant aggravé quand il est commis à raison de son sexe ou de son genre (article 132-77 du Code pénal), nul besoin de se répandre en qualifications superfétatoires.


Certains croient devoir ajouter que l’on ne saurait pas quoi faire du meurtre d’une femme par sa conjointe, ou d’un homme par son concubin, ni des personnes transgenres face à cette qualification.

En contrepartie, les vertus évoquées par les défenseurs d’une pareille inclusion sont incertaines, c’est dire si de l’ambition à l’optimisme, de l’objectif à l’utopie, il n’y a parfois qu’un pas.

Croire que bien nommer c’est mieux traiter relève de l’hérésie. On ne manque pas de mots, mais de moyens. Le terme amène une prise de conscience, soit; il faut encore une prise de responsabilité. Former et informer sont nécessaires, mais la doléance véritable porte sur les ressources humaines et financières.


Par ailleurs, confier à la justice pénale la tâche de sensibiliser, c’est se méprendre sur son rôle. Et tout comme on n’éradique pas la misère en emprisonnant les sans-abris (4), on ne lutte pas contre les violences (patriarcales) faites aux femmes par l’immixtion de termes, furent-ils novateurs, dans la sphère juridique.


Réponse institutionnelle aux maux de la société, certes, mais pas à tous. L’institution judiciaire en est une parmi d’autres, et elle n’a pas vocation à se saisir de toutes les problématiques.


Intégrer le terme dans le Code pénal interroge également sur les difficultés probatoires qui en émanerait : comment prouver qu’il est question du meurtre d’une femme en raison de son genre ? Inutile et inutilisable, codifier le féminicide ne s’avèrerait qu’une entreprise démagogique et pour ainsi dire contre-productive. C’est confondre l’avancée avec le progrès.


Plus encore, mais ça n’est là que notre conviction personnelle, la solution n’est pas dans la course à la répression. La menace d’une pénalité plus sévère n’a jamais arrêté les maris violents, pas plus qu’elle ne leur a fait comprendre que ce faisant ils étaient retors.


Nous nous rangeons donc derrière l’avis de la députée Fiona LAZAAR, qui dans un rapport de la délégation aux droits des femmes a conclu à l’inopportunité de l’inscription du terme dans le Code pénal, tout en rappelant qu’il est salvateur d’en user en société, pour ce qu’il implique et par ce qu’il indique de la violence faite auxfemmes.


Sans rien renier des soubassements intellectuelles et sociologiques du mot, il convient toutefois de l’écarter de la sphère juridique pour laquelle il est inapte, et inepte.


Par Lola C. et Erwan B.


(1) Selon les chiffres de l’enquête de la délégation aux victimes, datée du lundi 17 août 2020, et publiés par le ministère de l’intérieur.

(2) Carbonnier disait : « l’interprétation est la forme intellectuelle de la désobéissance ». (3) Article 6 DDHC : « elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

(4) « On vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce assez pour s'y trouver bien » disait Rousseau

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